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l’Atelier d’Édition Bordematin

Résistances

 

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Résister !
Un mot d’actualité, un mot de tous les temps

« Indignez-vous ! » nous exhorte Stephane Hessel, dans la lignée des Lumières. Et Albert Camus, homme révolté : « vivre, c’est ne pas se résigner. » À l’encontre de la culture de la docilité qui fait les peuples soumis, cette série se veut porteuse du droit à la critique comme au refus.

Son premier volet vous convie au temps de l’Occupation, où résister fut l’exigence impérieuse de nombre de citoyens qui, au péril de leur vie, refusèrent d’être assujettis : un temps fort à ne pas oublier, pour qui veut inscrire les questionnements d’aujourd’hui dans les pas des anciens.

 

Résistants en Forez

Lorsque l’on parle de la Résistance et de l’Occupation, avec des majuscules, il s’agit en France de l’occupation par l’Allemagne nazie et de la lutte contre celle-ci, pendant la seconde guerre mondiale. Cette lutte est souvent chantée en images d’Épinal, consacrées à ses héros célèbres. Nous voulons contribuer à la reconnaissance de résistants, restés parmi ceux que l’on baptise anonymes simplement parce que les grands du monde et leurs hérauts les ignorent. En leur hommage à tous, cette publication veut, à travers quelques-uns, sortir des clichés trompeurs qui dominent l’image publique de la Résistance, et contribuer à faire vivre une flamme sur la tombe du résistant inconnu1, héros du quotidien en des temps de révolte et de courage qui ont marqué l’Histoire.

Bien qu’un nombre relativement important d’articles, études, ouvrages lui aient été consacrés2 et qu’il ne reste sans doute rien de très nouveau à en découvrir, la Résistance forézienne reste peu connue du grand public, même et peut-être surtout dans la région. Comme la Résistance auvergnate, elle fut pourtant très active. Dans les villages et les villes de la Loire, aux habitants souvent endormis, voire collabos, il y eut une minorité d’hommes et de femmes – citoyens de professions et d’opinions diverses : cheminots, intellectuels, artisans, chrétiens, syndicalistes, communistes... – qui s’engagèrent, accueillirent des gens venus d’ailleurs, diffusèrent des tracts, éditèrent des journaux, noyautèrent les administrations publiques, mirent à l'abri résistants, juifs, réfractaires au STO, prirent le maquis... Parmi eux, beaucoup furent arrêtés, torturés, déportés, exécutés, au point que l’on a pu parler du « martyre de la Résistance forézienne ». Ceux qui ont survécu n’ont pas cherché la gloire. « Nombreux sont ceux qui ne seront jamais connus. » Certains « ont disparu avant de témoigner, d'autres se réfugient dans un silence obstiné, le devoir étant accompli. » Chez beaucoup, « la modestie est de rigueur, aucune vedette, aucun nom » : « vrais résistants qui pensaient n’avoir fait que leur devoir et n’ont guère parlé de leurs exploits ». « Pourquoi ? Je n'ai encore rien fait ! » s’exclame Violette Maurice, résistante dès l’appel du 18 juin, déportée à Ravensbruck, puis à Mauthausen, en apprenant à son retour à Saint-Etienne que la nouvelle municipalité (1944) lui a réservé un poste de conseillère. Les résistants qui, en juin 1944, libérèrent une première fois la vallée de l’Ubaye, verrou essentiel sur la route de l’Italie, « ont opté pour la discrétion » en décidant ensemble : ni photos, ni commentaires et le résistant forézien Pierre Merle fit promettre à sa fille de ne rien écrire avant son décès, promesse qu’elle respecta.

C’est tous ces héros – ombres au sein de l’armée des ombres, dont ne reste parfois que le souvenir de ceux qui les ont connus, souvenir qui disparaît avec ces derniers – que nous voulons honorer, et tout particulièrement, à travers quelques exemples, les résistants méconnus de la campagne proche de la petite ville de Feurs, au cœur de la plaine du Forez.

Au-delà de la figure obligée du châtelain engagé (comme le comte de Neufbourg dont nous allons parler), la résistance rurale, pourtant d’importance vitale, n’a pas toujours été reconnue : « en dépit des multiples embêtements qui avaient été leur lot », les paysans étaient regardés de travers, accusés en bloc de marché noir dont les bénéfices emplissaient les lessiveuses. Les responsables politiques, souvent citadins et communistes, n’en mesuraient pas forcément le poids et le courage. Une première exploration des archives conservées au Service historique de la Défense nous a fait découvrir une notice concernant le comte de Neufbourg3. En existe-t-il des autres résistants que nous allons évoquer, on peut en douter. Sauf erreur de notre part, aucune sur l’institutrice Marguerite Gonon, pourtant alter ego du comte dans la Résistance ! De la campagne ou de la ville, les résistantes sont encore davantage ignorées, et pour ce qui est des épouses ou des mères, elles ne sont même pas nommées. Lorsqu’elles ne participaient pas directement aux actions, elles en étaient pourtant un maillon essentiel, vivant la même peur, participant au même danger, et assurant le quotidien. Quant aux enfants, pas davantage restés dans l’Histoire, il fallait bien qu’ils apprennent à se taire et parfois qu’ils participent. Au-delà de la parentèle, bien d’autres personnes, voire familles, et dans bien des villages alentours, appuyaient activement les groupes locaux de résistance, notamment en cachant leurs membres lorsqu’ils risquaient d’être arrêtés. Ce sont en fait de véritables collectifs qui se cachent derrière chaque nom de résistant et on devrait sans doute parler d’un maillage oublié de la résistance dans notre région. De surcroît, ce n’est qu’une infime part de ceux qui, chez nous, se sont alors mobilisés que nous allons évoquer ; d’autres lieux, d’autres groupes, d’autres personnes, infiniment plus nombreux que leur contemporains eux-mêmes ne l’imaginaient (groupe de l’abbé Ploton à Feurs, groupe Boyer de Saint-Germain-Laval, groupe Henry de Saint-Georges-de-Baroille…), ont donné de leur vie contre l’occupant nazi : on moissonnera de passionnantes études et témoignages, pour cette histoire « encore bien difficile à écrire », dans l’ouvrage collectif Le Forez et les Foréziens dans la guerre et la Résistance (1939-1945) paru en 20094.

Le groupe d’Arthun

Fondé en 1940 dans le petit village d’Arthun (situé entre Boën-sur-Lignon et Montbrison, à proximité du parc naturel régional Livradois-Forez), par Guy de Neufbourg et Marguerite Gonon – tous deux membres de la Diana, société historique et archéologique du Forez – ce groupe est constitué de six ouvriers agricoles employés au domaine de Beauvoir, propriété du comte de Neufbourg : les frères Charles et Claude Michel, Pétrus et Marius Durand, Jean et Pierre Merle. S’y ajoute, en 1941, un ancien gendarme démissionnaire, Alfred Petit, devenu garde au domaine de Beauvoir. Il rassemble ainsi plusieurs familles : cinq de ces hommes sont mariés (dont Neufbourg), certains avec des enfants, les autres vivent chez leurs parents.

Le groupe d’Arthun ne se rattache officiellement à aucun mouvement de Résistance et représente, au sein de la Résistance forézienne, une cellule atypique et indisciplinée, voire incontrôlable, ses fondateurs (tous deux d’abord vichystes) n’ayant jamais trop supporté d’autre autorité que la leur. Le premier (dit le Sire, dans la Résistance), grand propriétaire royaliste, catholique et traditionnaliste, mais résolument non conformiste – « interdit de châteaux, on ne le reçoit plus nulle part » – va jusqu’à accueillir en 1939 des réfugiés espagnols antifranquistes, et en mars 1941 refuse d’accueillir le maréchal dans son domaine, où la photo dudit maréchal trône la tête en bas ! La seconde (dite Christine, dans la Résistance), institutrice à Arthun, puis à Feurs et Rozier-en-Donzy, « courait la campagne pour la Résistance », son statut de remplaçante lui permettant de circuler sans être suspecte. Montbrisonnaise connue pour ses travaux historiques sur la région, elle joue un rôle capital dans le groupe et au-delà : première responsable de l'Armée secrète de Feurs, elle est en rapport tant avec la France libre, qu’avec les résistants de Lyon.

Réception de parachutages, cache d’armes, accueil de clandestins et de réfractaires du STO, le groupe agit dans plusieurs villages de la région (Feurs, Pommiers, Rozier-en-Donzy…). Il est resté dans les mémoires pour avoir caché dans des caissons étanches immergés dans les étangs du comte, invisibles sous la vase, 800.000 cartouches et 25 fusils mitrailleurs soustraits à l'ennemi et à la commission d'armistice, après l'invasion de la zone libre.

Les membres du groupe, le comte lui-même, n’étaient pas d’une discrétion à toute épreuve. Si le silence des participants à des parachutages pouvait être total, si la solidarité villageoise et la loi du silence ont pu jouer (« Même des gens avec qui on était mal n’ont jamais rien dit »), il y eut pourtant des dénonciations, dues à « des bavardages et vantardises » de bistrot. Le comte fut arrêté et torturé. Par chance, il parlait allemand et comprit que ses geôliers n’avaient pas de preuves contre lui. Il fut libéré, grâce notamment à l’action de Marguerite Gonon.

Lorsque Neufbourg fit édifier, près des étangs de Biterne, une croix portant les noms de ses compagnons, Pierre Merle déclara : « Avoir son nom sur une croix en étant vivant, ce n'est pas rien de passer à la postérité si jeune et en ayant presque rien fait ! ». Malgré ses démarches, le comte n’obtint jamais de décoration pour eux. Il y eut même des gens qui osèrent les rabaisser au rang de simples vassaux dociles à leur seigneur : mépris de classe oblige ! « C’était pourtant un bon exemple que celui de ces huit hommes [...] consentant simplement, sans phrases ni conditions […] à se considérer comme mobilisés avec la menace constante des policiers de Vichy et de la Gestapo. » « C’est que tout allait aux dépendeurs de jambons hâbleurs appuyés par leurs amis citadins. » Neufbourg fera plus tard l’éloge des femmes engagées à ses côtés, notamment Marguerite Gonon et Mlle d’Havrincourt : « Toutes deux froidement courageuses ». La croix a été attribuée « à des femmes qui n’ont pas eu l’occasion de faire le quart de ce qu’a fait Mlle Gonon « qui a la carte de combattant ». En récompense à la fois à la résistante et à l’historienne, celle-ci a finalement obtenu la Légion d’honneur, remise par Lucien Neuwirth, autre figure emblématique de la Résistance dans la Loire. Neufbourg lui-même n’a jamais reçu de récompense et n’a jamais rien sollicité. En 1970, il demandera que son décès ne soit pas annoncé à l’Académie de Inscriptions et Belles lettres dont il était membre et il ne lui sera rendu hommage que quatre mois après sa disparition5. « L’honneur et le désintéressement » étaient ses valeurs, comme celles des paysans d’Arthun, « simplement héroïques et modestes ». Quand le premier d’entre eux, Alfred Petit, est mort, Neufbourg fit placer, pendant la messe de funérailles, les autres membres du groupe debout autour de son cercueil dans une sorte de garde d’honneur, redevenant ainsi devant les leurs – sinon à la face du monde6 – les frères en résistance qu’ils avaient été.

Le groupe d’Arthun (peu discret, on l’a vu) a marqué la campagne environnante, pourtant si l’on interroge aujourd’hui les ligériens, on s’aperçoit que peu s’en souviennent, et qui se rend à Arthun aujourd’hui, pour quelque chose comme un pèlerinage en souvenir des héros du village, ne peut qu’être étonné du peu de place que leur accorde la mémoire communale.

Aucune des pages du site officiel de la commune, ni la page « Présentation », ni la page « Histoire » (qui n’accorde pas un paragraphe à la seconde guerre mondiale), ni les pages « Patrimoine historique » et « Tourisme » n’évoquent le rôle des étangs d’Arthun dans la Résistance. La croix dite « croix de Biterne », édifiée en 1945 près des étangs et inaugurée en 1946, n’est même pas mentionnée parmi les « lieux d’intérêt ». La réserve est présentée comme un espace de sauvegarde de la biodiversité et des écosystèmes, et le sentier de randonnée comme partie du chemin de Compostelle (GR 765), mais rien n’évoque leur passé résistant. Bizarrement, c’est dans la page « Les maires et les prêtres » que référence est faite à l’article publié en 2012 par Claude Latta et Marie-Claudette Merle-Thévenet et il faut chercher dans les articles cités de Marie-Claudette Merle-Thévenet (documents PDF), pour trouver référence au groupe. Dans le village, il existe une rue Jean de Neufbourg, mais pas de rue Guy de Neufbourg. Quant à l’article consacré à Arthun par Wikipedia – très succinct, il est vrai – la seule croix qu’il mentionne est celle du bourg et le comte y apparaît dans les personnalités liées à la commune comme « membre » de la résistance arthunoise !

Si l’on se tourne vers Biterne, réserve ornithologique autour des 3 étangs autrefois propriété de Neufbourg, l’étonnement est encore plus grand. Rien sur la Résistance ni sur la croix, dans le site officiel (https://www.maisondesetangsduforez.com) ; rien, dans la maison des étangs. Accessible par un agréable sentier de randonnée, à la fois aménagé et sauvage, la croix est sise sur une propriété privée. Cette croix massive de 3 mètres de haut sur un énorme socle, sans inscription apparente, n’est signalée ni sur les panneaux indiquant l’itinéraire dans la réserve, ni même lorsqu’on y arrive. L’endroit n’est pas entretenu, des broussailles e des branches envahissent les côtés. Seul est dégagé l’espace pour y accéder.

 

     La croix de Biterne en octobre 2022


 

 

En revanche, un panneau à l’entrée de sa petite clairière indique : « Savez-vous que dans ces étangs des carpes ont pondu leurs œufs sur des caisses remplies de munitions. » Sauf erreur de notre part, c’est la seule allusion - fort légère, on en conviendra - faite ici à la Résistance. On est loin du lieu de recueillement que l’on aimerait trouver ici, puisqu’il s’agit d’un monument aux morts7.

Mais l’étonnement ne s’arrête pas là. En lisant certains articles, comme en écoutant ceux qui en parlent encore, on peut croire la croix érigée par le comte pour honorer ses compagnons. À l’appui de cette idée, le texte suivant rédigé par lui, censé figurer sur la face principale du socle.

Ici fut un asile de volontaires,
un terrain d’atterrissage,
un dépôt secret de l’armée à la garde
du groupe d’Arthun. Pétrus et Marius Durand
Jean et Pierre Merle, Claude et Charles Michel,
Le Comte de Neufbourg, Alfred Petit

C’est ce que tend également à illustrer la photo classique, reproduite ci-dessous.

 

                                La croix et le groupe d’Arthun (1946)
                        ( Collection Marie-Claudette Thévenet-Merle)

Strictement masculine, cette photo respecte discrètement la hiérarchie de classe. Le comte est au premier plan (après tout, il était le chef et organisateur du groupe), et avec lui son garde ; Les simples paysans se tiennent légèrement en retrait. Cette disposition, probablement spontanée, voire machinale, n’est probablement pas le seul fait du comte, mais aussi celui d’hommes habitués depuis des générations à la hiérarchie et au respect. En revanche, aucune distinction de rang dans l’inscription rédigée par le comte : les compagnons d’armes y figurent par ordre alphabétique et il se trouve au milieu d’eux sans privilège. Mais si tous sont à l’honneur devant la croix, ce n’est pas le texte avec leurs noms qui figure derrière eux, mais celui d’un noble, Hervé Jean de Saint-Gilles, parent du comte, volontaire au 58e d’Artillerie, Croix de guerre, mort de ses blessures le 3 août 1942. Les membres du groupe figurent sur le petit côté gauche. Les autres morts d’Arthun de la deuxième guerre mondiale sont deux roturiers sur le petit côté droit, et un autre noble, Jean de Neufbourg, sur la grande face arrière (honoré, on l’a vu, par l’attribution de son nom à une rue de la commune).

En fait, par l’érection de la croix, le comte rend hommage à la fois au groupe de résistants et aux morts d’Arthun de la seconde guerre mondiale, et d’abord à l’un des siens, que peut-être il admirait particulièrement, ou dont la vie sacrifiée lui a paru mériter la place d’honneur sur le socle ; dans l’esprit d’humilité qui était le leur, son groupe et lui-même, encore en vie, se contentent d’une seconde place. On ne peut s’en rendre compte que si on se rend sur place. Les inscriptions gravées en creux, plus ou moins recouvertes de mousse, ne sont guère lisibles, il faut en suivre les contours avec les doigts pour les décrypter.

L’interprétation de tous ces faits n’est pas simple.

La première impression est que le groupe d’Arthun n’est pas mis à l’honneur par la commune. Ceci sans doute par respect de ses propres volontés, comme de celles de la famille qui souhaitait que l’on n’écrive plus sur lui. Mais cela peut aussi, voire davantage, traduire la volonté d’effacer un passé dans lequel on ne se reconnaît pas forcément. On a presque l’impression d’une omerta : sans le travail opiniâtre de Marie-Claudette Thévenet-Merle, rien dans la commune n’évoquerait ce passé.

Nul n’est prophète en son pays, dit le proverbe. Á Arthun, dès l’époque, tous étaient loin d’être d’accord avec Neufbourg. Selon ce que nous a indiqué Marie-Claudette Thévenet-Merle, Il ne faut pas croire que celui-ci était bien considéré par tous les arthunois, loin s'en faut. Il n'a jamais réussi à se faire élire à la municipalité, il avait ses ennemis et la noblesse locale lui tournera le dos : n'oublions pas qu'à cette époque, la majorité des Français était du côté de Pétain...

Deux anecdotes sont particulièrement révélatrices.

- À Arthun, une nuit, de jeunes résistants qui ne faisaient pas partie du groupe mais que ses membres connaissaient bien, avaient dessiné des croix gammées sur cinq maisons du village. Le lendemain ou le surlendemain, Pierre Merle et Jean Gouttard entrèrent dans un café de Boën, petite ville proche : il était bondé, la salle était petite, les tables serrées les unes contre les autres. Soudain, un silence se fit car un homme les regardait depuis un moment, ce qui attira l'attention de tous. Il lança cette phrase : – « Y en a, au lieu de faire les malins avec le comte et de marquer des maisons au fer rouge, qui devraient bien faire attention à eux... » Et, en s'adressant aux autres : – « Vous autres, y en a pas un, qui ira chercher les gendarmes pour leur régler leur compte à ces deux là ? » Ils réussirent à s’enfuir, mais ce fut la peur de leur vie !

- Lorsque, en 1948, le Général de Gaulle vint en visite à Arthun (visite à l’occasion de laquelle De Gaulle serra la main des ex résistants : la seule récompense qu’on leur offrira jamais, dira Claude Latta), le Comte – peur de possibles terroristes ! – avait monté la garde toute la nuit... Un bon nombre d'arthunois n'ont même pas été au courant, et ce n'est que plus tard, que cette visite deviendra célèbre, lorsque le Général sera élu Président...

Même la revente, dès 1990, du château, légué à son décès en décembre 1986 par le comte à la commune, pose question. C’est peut-être pour de simples raisons économiques, l’entretien d’une telle demeure étant trop onéreux pour une petite commune, mais ce peut-être aussi que ce legs brûlait les doigts de certains, trop heureux de s’en débarrasser.

En même temps, il semble bien que les résistants d’Arthun aient été connus de tous. Or, si l’on excepte la dénonciation du comte par un ancien réfractaire passé aux Allemands, même lorsque des fanfarons les menaçaient, personne ne s’avisait de passer à l’acte. En septembre 1943, une pétition fut même signée pour la libération du comte, ce qui demandait beaucoup de courage car c’était se déclarer sympathisant de la Résistance. Rédigée par le curé de la paroisse et par un autre ami du comte, on ignore à ce jour les noms et le nombre de ses signataires : probablement, selon Claudette Thévenet-Merle, ses fermiers et ses ouvriers et quelques paroissiens. Le soldat de la Gestapo à qui Marguerite Gonon l’avait donnée à lire l'aurait tout simplement roulée en boule et jetée à terre, et malheureusement il semble qu’aucune copie n’en ait été faite et conservée.

Quoi qu’il en soit, Guy de Neufbourg fut très touché et reconnaissant envers les arthunois (il n’aurait jamais imaginé pareil scénario). C’est en souvenir des services qu’ils lui avaient rendu, ainsi que de la pétition, qu’il légua son château et des dizaines d’hectares à la commune et au syndicat agricole. Tous ces faits témoignent de l’ambivalence qui, à l’époque, devait régner autour du groupe : désaccord, peur des représailles, et pour certains haine véritable ; mais aussi solidarité villageoise et rejet traditionnel de la maréchaussée, ou tout simplement incertitude et refus de se muer en mouton dénonciateur, et peut-être même, secrètement, admiration pour ceux qui osaient résister et détestation de l’occupant.

(À suivre)

[1] Il existe de multiples lieux de mémoire et de fonds d’archives de la Résistance. Dans le cadre de ce texte, nous ne pouvons pas effectuer une recherche exhaustive qui risque d’être sans fin, chaque nouveau renseignement trouvé appelant d’autres questions. Nos données peuvent tout à fait être complétées, voire corrigées.
 

[2] Toutes nos informations, anecdotes et citations sont extraites : d’une part, de nos échanges avec Marie-Claudette Thévenet-Merle, fille de résistants et historienne, à qui nous adressons nos plus vifs remerciements ; d‘autre part, des documents suivants : Colonel René GENTGEN, La Résistance dans le département de la Loire, Village de Forez, Supplément au n° 53 du deuxième trimestre 1993 ; La longue marche de la Résistance forézienne, www.forez-info.com, dossier spécial: Forez 1940-1944, 20 mai 2007 ; Claude Latta, Marie-Claudette Thévenet-Merle, « Le groupe d’Arthun » et la Résistance forézienne », Cahiers de Village de Forez, 2012,  p. 3-31 ; Francine BURLET, La « folle semaine » de la Résistance ubayenne, www.ledauphine.com, 13 juin 2019, mis à jour le 06 août 2019 ; Laetitia COHENDET, Résistance, Guy de Neufbourg : ce comte qui dissimulait des armes dans les étangs d’Arthun, https:/www.le-pays.fr, 9 septembre 2021.

[3] www.servicehistorique.sga.defense.gouv (dossier individuel de personnel de Courtin de Neufbourg Guy Gabriel Jean, GR 5 YE 144790).

[4] Cahiers de village de Forez, n° 62, avril 2009.

[5] Jacqueline de Romilly, Allocution, 10 avril 1987, Compte rendu des séances, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1987, 131-2, p. 306-307.

[6] Neufbourg et Marguerite Gonon figurent dans deux listes de résistants que nous avons consultées sur le web : liste réalisée par le Musée de la Résistance en ligne) et https://noms.rues.st.etienne.free.fr, Base de données des résistants nés dans la Loire où l’on trouve 4 autres arthunois dont nous ne savons rien, Françoise Combes, Coutard, Michel Peuron, Augustin Roche mais aucun des autres membres du groupe.

[7] Les lieux ont changé, depuis notre visite en octobre 2022. Des promeneurs qui suivaient le sentier, début mars 2023, ont constaté que le panneau avait été enlevé, et que le site avait été élagué, mais toujours aucun affichage indiquant la signification de la croix et aucun hommage aux résistants d’Arthun.