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l’Atelier d’Édition Bordematin

Résistances

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Résistants en Forez (suite)
trois figures contrastées

En mars, notre page A lire, à voir… a évoqué les résistants du « groupe d’Arthun », un petit groupe rural atypique de la Résistance dans la plaine du Forez, au cœur du département de la Loire. D’autres, de multiples autres, ont combattus l’occupant. La base de données des résistants nés dans la Loire (https://noms.rues.st.etienne.free.fr) en recense 4158, mais combien ne figurent dans aucune narration ? Nous relaterons ici trois figures contrastées : deux résistants, une résistante. Un vagabond d’âge mûr venu d’Auvergne et un jeune ouvrier du tissage d’un village forézien, ignorés de la mémoire collective ; une jeune bourgeoise citadine d’origine tchèque, reconnue par l’histoire de la Résistance en Rhône-Alpes, mais ignorée du village où se trouve sa tombe.

Un chasseur de vipères
porteur de messages

Le résistant Jean Serpent, notre Jean Serpent, n’est guère connu que dans les bourgs de la région de Feurs. Le Jean Serpent historique (de son vrai nom Michel Vergne), illustre chasseur de vipères clermontois, a vécu de 1861 à 1921.
Le nôtre s’appelait Champclos, nom que nul dans les villages foréziens ne lui a jamais connu. Quel était son prénom ? Nul ne l’a jamais su, non plus. Né sans doute en 1896, ce vagabond a, lui aussi, vécu dans la région clermontoise, mais chez nous il habitait en pleine forêt (dans le bois de Riou, sur la commune de Nervieux )[1] un bloc de ciment, dit la cabane de Jean Serpent, qui existe encore aujourd’hui. Connue des habitants du village, elle est un lieu de casse-croûte pour les randonneurs du Téléthon, mais aucun fléchage n’y conduit et, sur place, rien ne rappelle son héroïque occupant.
Champclos est devenu Jean Serpent, après que Jean Vergne lui ait passé la main, en 1912. Des anciens aujourd’hui disparus racontaient qu’il montrait ses vipères aux enfants des écoles apeurés, avant de les vendre à l’Institut Pasteur de Lyon qui en récoltait le venin, comme il l’avait déjà fait à l’Hôtel-Dieu de Clermont pendant la première guerre mondiale. Certains d’entre nous conservent encore aujourd’hui des bouteilles de marc avec une vipère à l’intérieur, insérée là vivante par ses soins : cette eau de vie de vipère ou eau de vipère (dite ailleurs vipérine) était autrefois censée soigner notamment les maux de ventre.
                                                 Si le péril grave de la morsure de vipère est aujourd'hui supprimé, écrivait un journaliste en 1920, « Champclos est l'un des pauvres diables inconnus à qui nous devons cela. » « Son dossier de police n'est pas très bon [...] Champclos change trop souvent de domicile : il n'est pas d'une tempérance à toute épreuve, et ses relations laissent à désirer. Que nous importe? Il est pauvre, il est seul; il fait peur aux enfants et pourtant c'est un peu grâce à Champclos que la vipère qui faisait tant de mal n'en fait plus. Je crois que saint François d'Assise eût beaucoup aimé cet homme-là. »[2] Curieusement, l’article que l’on vient de citer semble être le seul qui lui ait été consacré. Contrairement à son célèbre prédécesseur, l’histoire des chasseurs de vipères l’a oublié.
C’est dans le Forez que, pendant la seconde guerre mondiale, l’homme transmettait pour le maquis des messages cachés dans le double fond de sa boîte à vipères, longue cage cylindrique à mailles serrées. Les soldats allemands, on s’en doute, n’étaient pas plus enclins que la Gestapo ou la milice vichyssoise à contrôler le contenu de ladite cage.
La mémoire villageoise dit, sans autre précision, le résistant arrêté à la suite d’une dénonciation et exécuté par la gestapo. Il pourrait avoir été déporté. En effet, dans le fonds d’archives du Service historique de la Défense (SHD) du ministère des Armées [3] , figure un certain Champclos, lui aussi sans prénom, « mort en déportation », dont la notice d’archives est conservée à Caen. Est-ce notre chasseur de vipères ? Nous ne pouvons l’affirmer, n’ayant pas eu à ce jour accès à son dossier.

Une lettrée
agent de renseignements

Dans le cimetière de Nervieux, ce village forézien où vécut Jean Serpent, près de la grille d’entrée, une stèle porte une inscription remarquable pour un pareil lieu, si étranger aux faits de résistance : « Yseult Sheer 1914-2006 France libre Réseau Gallia Officier de la Légion d’Honneur ». 
                                                             Rien ne signale à l’attention cette tombe banale, tombe familiale où sont aussi enterrés Robert Saulnier, le mari d’Yseult Scheer, ainsi que des personnes appartenant sans doute à la famille maternelle de celui-ci. Elle n’est pas abandonnée et, si un rosier non taillé cache les noms des ancêtres, un pot de chrysanthème y a été déposé, à la Toussaint 2022. Mais on n’y trouve aucune plaque du type « hommage à notre camarade », venant d’amicales ou d’associations mémorielles, comme en trouve ailleurs sur des tombes de résistants, combattants, déportés… À notre connaissance, jamais de cérémonie officielle sur cette tombe. Le village l’ignore et nous aurions pu ne jamais la remarquer. Littéralement, ne jamais la voir.
L’inscription dorée, gravée en creux dans la pierre, est parfaitement lisible, mais si vous interrogez les villageois, une même moue vous répond : non, personne, même parmi les plus âgés, ne sait aujourd’hui qui était Yseult Saulnier, née Scheer. Au mieux, on nous cite des familles Saulnier dans la région, mais même le nom de son mari n’évoque aucun souvenir.
C’est une ancienne, décédée maintenant, qui a attiré notre attention sur elle. À chacun de ses passages au cimetière – pour des raisons que nous ne saurons jamais, pas plus que nous ne saurons comment elle savait qui était Yseult Scheer et ce qu’elle avait accompli – elle s’arrêtait devant et disait à qui l’accompagnait :
— Elle a dû être très gentille avec les gardiens du camp, parce qu’elle a sauvé beaucoup de gens.
C’était admiratif et venant d’une femme à qui l’on n’en contait pas, ce n’était pas rien.
Le camp, c’était Ravensbruck, où la résistante avait été déportée le 19 mars 1944. Yseult Scheer n’a jamais fait état de cet héroïsme sexuel féminin et n’a jamais laissé entendre avoir permis la libération de déportés. On pourrait penser que c’est par une sorte de pudeur qu’elle a préféré le taire, pour peut-être ne l’évoquer qu’en privé. Mais on peut plutôt penser que c’est une rumeur. Si son activité de résistante a continué dans les camps, c’est par des actions de solidarité. « De Ravensbrück, dit-elle, il me reste des souvenirs terribles, mais aussi des amitiés car nous étions quelques-unes qui s’entraidaient et essayaient de rendre la vie plus facile à toutes ». D’où venait la rumeur ? Peut-être simplement d'une image d’Épinal de la résistante, bien réelle parfois, mais parfois aussi colportée sans fondement.
Inconnue de Nervieux, quelle activité de résistante Yseult Scheer y a-t-elle eu ?
Contrairement à ce que nous avons d’abord cru, aucune.
Et pas davantage dans la plaine du Forez.
À notre grande surprise, elle semble même n’y avoir jamais vécu. Elle n’y est ni née, ni décédée, et ni Nervieux, ni le Forez ne sont mentionnés dans aucun des documents la concernant que nous avons consultés.
Qui était-elle, alors ? Nous n’avons eu aucun mal à le trouver.[4]
Née en 1914, en Tchécoslovaquie, d’un père autrichien et d’une mère Tchèque, dans un milieu bourgeois aisé, Yseult Scheer devient française en 1935, après avoir épousé Robert Saulnier, professeur au lycée Français de Prague. Après Munich et l’occupation et le démembrement de la Tchécoslovaquie (automne 1938), alors que son mari rentre en France (à Saint-Étienne, puis à Nantua), elle reste dans son pays natal et participe à la Résistance, en camouflant dans les bois des armes et des munitions subtilisées à une usine d’armement. Arrêtée par la Gestapo au cours d’une rafle, le 20 juin 1940, elle est libérée en tant que Française, mais reste surveillée. En janvier 1942, elle rejoint son mari à Nantua. Celui-ci, plutôt pétainiste, jamais impliqué dans ses engagements, ne sera jamais inquiété : « La Résistance », dit-elle encore « c‘était toujours mon affaire ».
Le Réseau lyonnais Gallia[5] , l’un des plus importants de la Résistance française, met alors à profit ses capacités linguistiques : elle a effectué des études supérieures en France et parle allemand, tchèque, français. Il lui fait obtenir un emploi à l'Office allemand de la main d'œuvre, bureau de placement sous autorité allemande, où elle pratique de « l’espionnage », détruit lettres de dénonciation anonymes et dossiers de résistants, et transmet à Londres des informations sur les personnes envoyées en Allemagne. Le 20 décembre 1943, au cours d’une rafle dans les réseaux lyonnais, elle est arrêtée et conduite à la prison Montluc où elle aura affaire à Klaus-Barbie.
Le 19 mars 1944, Yseult Scheer est déportée à Ravensbruck, après un passage par les camps de Romainville et de Neu-Bremen, près de Forbach. Sa connaissance de plusieurs langues la fait affecter au bureau « cartes d’entrée » des prisonniers, qui établit une « cartothèque », soit un recensement des prisonniers, ce qui lui permet des conditions de détention un peu moins pires que celles du tout-venant des déportées. Il fallait apprendre à « vivre un peu comme des bêtes ». Mais, travaillant la nuit, elle dormait le jour, ce qui lui permettait d’avoir une paillasse pour elle seule et d’éviter les poux.
Libérée au début d’avril 1945, elle regagne la France, à travers l’Allemagne en décomposition, puis la Suisse, pour y rejoindre les siens et vivre une vie normale. Elle y retrouve son premier fils dont elle avait été privée pendant toutes ces années (enceinte de six mois, lors de son arrestation à Lyon, le bébé, né à l’Hôpital de la Croix Rousse, avait été confié à des amis) et donne naissance à un deuxième fils. Jusqu’en 1956, elle est propriétaire d’un « fonds de pâtisserie confiserie et dégustation », dans le 2ème arrondissement de Lyon[6] . Redevenue une civile ordinaire, elle participe régulièrement à la Journée nationale de la Résistance organisée tous les 27 mai à la date anniversaire de la 1ére réunion clandestine présidée par Jean Moulin, à Paris, en 1943. Elle décède le 17 décembre 2006, à l'âge de 92 ans.
Un dossier est consacré à Yseult Sheer dans les Archives de la France combattante du Service historique de la Défense[7] et on en trouve plusieurs biographies. Si elle n’est pas aussi célébrée qu’un Jean Moulin, son nom figure en bonne place dans la mémoire de la Résistance lyonnaise. En 1992, le Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon l’interviewe pendant près de quarante minutes, et, en 2015, l’Amicale mémoire du réseau Gallia lui consacre une longue notice. À son retour de Ravensbruck, elle est été décorée du grade d’officier de la Légion d’Honneur, et la Maison des Sciences de l’Homme de Lyon comporte une salle Yseult Saulnier.
Ni forézienne, ni méconnue de l’histoire officielle, la résistante Yseult Sheer est ignorée du village où se trouve sa tombe. Si elle y est enterrée, c’est en quelque sorte par alliance et comme dans une nouvelle clandestinité…

Un ouvrier du textile
combattant FTP

Héros d’un quotidien oublié, résistant de l’ombre, Marcel D. fait partie de ces partisans qui optèrent pour la discrétion et décidèrent de refuser célébrations et honneurs. Il ne parlait jamais de sa Résistance. Avec les siens, nous avons voulu respecter son choix : il demeurera ainsi à jamais, pour la mémoire collective, un prénom et une initiale, mais sera, grâce à une lettre et à une photo, la figure exemplaire des multiples combattants foréziens dont seuls familles, amis et parfois villageois se souviennent. Notre irrémédiable regret restera de n’avoir pas su assez tôt qui étaient ces hommes de courage, héros ignorés de tous, dont le témoignage est à jamais perdu.
Né en 1923, dans les Montagnes du Matin (Montagnes de l’est, Monts du Levant, à ne pas confondre avec les Monts du Matin, dans le Vercors, terre de Résistance s’il en fût) situés à l’est du Forez, entre Loire et Rhône, et dits officiellement monts du Lyonnais, le jeune Marcel D habitait un village où – comme tous les jeunes gens, tant que les grands du monde n’en décident pas autrement – il menait chez ses parents la vie de la campagne, avec ses soucis et ses deuils, mais aussi ses joies, ses fêtes, ses projets. Il travaillait dans une usine de tissage, comme il y en avait alors beaucoup dans ces montagnes.
En 1940,   après  la  signature  de  la  convention  d’armistice  du  22  juin,   le  gouvernement de  Vichy  crée  les « Chantiers de la jeunesse », service civil de huit mois obligatoire pour tout citoyen masculin français de l’âge de vingt ans résidant en zone libre, à l’exclusion des juifs, des étrangers, ou des exemptés (mineurs, policiers, gendarmes) ; toute absence illégale est passible de prison et d’amende. Le 9 juillet 1943, Marcel D se voit donc contraint d’abandonner son quotidien pour participer à ces Chantiers à prétention éducative : retour à la nature, vie rude et virilisante rompant avec « l’esprit de jouissance », instruction religieuse, lutte contre l’illettrisme, sport et gymnastique dite naturelle (hébertisme), valorisation du travail, de la hiérarchie et de la discipline... Leur objectif affiché : œuvrer à la renaissance physique et morale de la France, et transformer les jeunes Français en chantres de la Révolution nationale et du discours maréchaliste. Marcel D. y trouve en réalité un gigantesque réservoir de main-d’œuvre à bon marché au service de l’occupant, ainsi que des conditions de vie pénibles (sous-alimentation, insalubrité, promiscuité, labeur harassant), mais aussi, en réaction, une hostilité massive des mobilisés, entraînant désertions et départs pour le maquis, lesquels se sont multipliés à compter de février 1943, avec l’envoi au STO de nombre d’entre eux.[8]
Appelé à son tour en Allemagne, le 7 mars 1944, le jeune homme se réfugie chez un fermier de Sainte-Foy Saint-Sulpice, commune jouxtant celle d’Arthun, qui – peut-être membre du Groupe d’Arthun[9] , et en tout cas se positionnant ainsi lui-même comme résistant – le cache et lui donne du travail. Il racontait souvent qu’il venait voir ses parents à pied et de nuit pour échapper à la police – plus de dix-sept kms entre la ferme et le village familial, soit de trois à quatre heures de marche, dans chaque sens – et que lui, comme sa mère attendant ses visites, ont connu de nombreux et intenses moments de peur et d’inquiétude. Mais il n’est guère pensable, pour un jeune homme de caractère, de rester hors combat, quand d‘autres risquent leur vie pour une cause que l’on partage : Marcel D prend le maquis et ce sera auprès des FTP à Briançon.
Les Francs-tireurs et partisans (FTP), qu’ils soient français (FTPF) ou étrangers de la MOI (Main-d’œuvre immigrée), constituaient la branche armée du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, mouvement de résistance créé, animé et dirigé par des militants communistes. Les policiers – et donc les archives – de Vichy avaient tendance à voir partout les membres du PCF alors clandestin, mais nombre de résistants engagés dans les FTP n’étaient pas communistes, et nombre de communistes combattaient ailleurs que dans des groupes FTP, et jusque dans l’armée régulière de la France Libre. Par ailleurs, les FTP étaient rares dans les milieux ruraux et souvent méfiants voire hostiles à la constitution de gros maquis, préférant l’action militaire urbaine et le sabotage.
Marcel D faisait partie de l’Armée Secrète (AS) de la Loire, branche militaire des MUR : Mouvements Unis de résistance (dont le Comité directeur est présidé par Jean Moulin) qui regroupent en janvier 1943 les trois grands mouvements gaullistes de la zone Sud (Combat, Franc-Tireur, Libération-Sud). À compter du 1er février 1944, l’AS sera fondue dans les Forces françaises de l'intérieur (FFI) avec l'Organisation de résistance de l'Armée (ORA, animée par le général Giraud) et les FTP. L’Armée Secrète avait pour objectif de harceler l’armée allemande, après le débarquement allié. S’il n’est pas parti directement dans les Alpes, Marcel D a dû faire partie, soit du secteur dit « plaine du Forez », autour de la ville de Montbrison, soit plus probablement du maquis AS Roanne des monts de la Madeleine, le plus proche de Sainte-Foy et d’Arthun. En tout cas, il a été membre du 99ème Régiment d’infanterie, 5e Compagnie – Front des Alpes, régiment issu d’un régiment de l’armée régulière française dissous en juillet 1940, après l’armistice, et reconstitué dans la Résistance, avec un certain nombre de ses anciens combattants, mais aussi avec des résistants venus des départements libérés en juillet 1944, dont la Loire. Il devait alors faire partie d’une unité formée du 1er bataillon AS de la Loire, du 4e bataillon FTP de la Loire et d’autres bataillons venus de l’Ain et du Rhône. Cette demi-brigade, renommée 99e RIA (régiment d’infanterie alpine) le 16 décembre et regroupée au sein du « Groupement briançonnais », porte sur son drapeau l'inscription « Résistance Ain-Jura » et participe à la reconquête du col de Larches (22-26 avril 1945). Si l’on ne connaît pas toutes les batailles dans lesquelles Marcel D a été présent, il ne fait ainsi guère de doute qu’il a dû participer à la libération du Briançonnais et probablement aussi du col de Larches, et qu’il a dû prendre sa part dans les actes pour ainsi dire banals de la Résistance, tels que sabotages, explosions, harcèlement de l'occupant, destructions de ponts...

Lettre à un ami résistant

La lettre publiée ici a été écrite par un autre résistant, André M. dont on pourrait dire à peu près tout ce que l’on vient de lire de Marcel D. Il a vécu dans le même village, ils y avaient passé ensemble leur enfance, et ils se sont engagés ensemble dans la Résistance. Le surnom Cécel utilisé par son auteur témoigne d’un attachement affectueux qui va bien au-delà de la simple amitié. André et Marcel ont gardé les diminutifs Cécel et Dédé pour communiquer entre eux, depuis leur enfance jusqu’au décès du premier, peu de temps avant le second. On peut y lire une familiarité née d’un compagnonnage de gamins, mais davantage encore une tendresse fraternelle fortifiée au cours d’épreuves vécues ensemble et connues d’eux seuls.

Nous n’aurons pas l’indélicatesse d’ajouter à ce texte – dont les fautes d’orthographe n’enlèvent rien à la poignante beauté –  des commentaires présomptueux.  Nous soulignerons seulement que, si elle dit, Ô combien !, la peur, le froid, les souffrances physiques, elle dit aussi un vécu que l’on veut souvent ignorer : à savoir la haine et le mépris s’enfonçant dans le dos, venimeux comme un dard. Les plus vieux d’entre nous savent que, dans notre région – pour ne parler que de ce que nous connaissons –, les résistants n’étaient pas forcément appréciés : communistes, voleurs, tueurs... (Loin de chez nous, mais aussi révélateur : en Grèce, les résistants sont restés dans l’histoire sous le terme de « kleftes », c’est-à-dire voleurs !). Ils pouvaient être en butte à une hostilité largement partagée. Comme ces deux jeunes gens d’Arthun entrés un jour de marché dans un petit café dont nous avons parlé dans notre précédente livraison.

La photo ci-dessous appartient à une collection privée, mais figure dans la presse. On la trouve sur Internet dans des « Images illustrant la Libération à Roanne », reprise d’un article du Progrès[10] . Selon la famille de Marcel D., elle a en réalité été prise à Saint-Étienne, ce que confirme la présence des rails du tramway. Marcel D. est le troisième dans la première colonne ; André M., le deuxième, dans la deuxième colonne. Seul, le foulard blanc de l’Armée Secrète signale qui sont ces jeunes gens défilant en grand ordre. Sans ce foulard, on pourrait voir en eux n’importe quel mouvement ou milice. Le regard probablement tourné vers quelques officiels, monument ou drapeau, encore habités par ce qu’ils ont vécu et sachant qu’on ne les accueille pas partout à bras ouverts, ces jeunes visages ne sourient pas. Autour d’eux, on ne sent pas la « liesse de la Libération », rendant hommage au courage et à l’engagement des héros qu’ils sont. Que pensent les spectateurs ? On ne les voit guère, mais eux non plus ne sourient pas, et rien ne montre qu’ils applaudissent, brandissent des étendards, se précipitent avec fleurs et baisers. Une photo qui, comme la lettre d’André M., témoigne d’une réalité bien plus ambigüe que ne le voudrait la légende.

 

 

À la Libération, Marcel D. regagnera son village, pour y vivre une vie normale, celle des ouvriers du tissage dont s’est fait une spécialité la région que nous disons des Montagnes du Matin, où il réside. Il se mariera et aura des enfants. Son nom, pas plus que celui de son ami poète, André M., ne figurera jamais sur aucune stèle dédiée aux résistants.

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[1] Village peu marqué par la Résistance. La Base de données des résistants nés dans la Loire déjà citée mentionne trois résistants nés à Nervieux : Achard Benoît Louis, Blanchier Alfred Gaston, Villadon Albert Jean-Paul. Aucun ne nous est connu, aucun n’est célébré dans le village, et, hormis ceux attribués à Jean Serpent, nous n’y avons jamais entendu parler de faits de résistance.

[2] Émile Berr, « Promenades hors Paris – Un chasseur de vipères », Le Figaro, 18 juillet 1920, n° 199. BNF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34355551z.

[3] www.servicehistorique.sga.defense.gouv (dossier individuel de personnel de Champclos AC21P434900).

[4] Données biographiques établies d’après le témoignage recueilli par le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, musée d’histoire, Lyon dans la guerre, 1939-1945. www.CHRD.lyon.fr. Saulnier Yseult (*Scheer) témoignage 29/01/1992, cote HRT 107 ; autres sources : www.memoresist.org >Ne les oublions pas ; https://memoirenet.pagesperso-orange.fr, Mémoire-net, mémoire locale et seconde guerre mondiale, Yseult Saulnier, du réseau Gallia à Ravensbruck ; www.reseaugallia.org/index.php/2015/09/02/saulnier-yseult/ ; Hôpital… Répression… Et Résistance. Expo Hop Résistance Anacr.pdf.

[5] Sur ce réseau, créé en 1943, voir notamment Jean-Philippe Meyssonnier. Le réseau Gallia à Lyon, 1943-1944, Bulletin de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, Supplément n°8, 1995. « La Résistance et les Français : Villes, centres et logiques de décision ». pp. 83-100.

[6] En témoignent deux annonces du 16 juillet 1956 du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales qui signalent, avec une faute sur l’orthographe de son nom de jeune fille, la vente de ce commerce  (annonce n°1208, p. 12948), et la radiation de Mme Saulnier, née Scherr (Yseult) suite à cette vente (annonce n° 1249, p. 12949)

[7] Sur le site www.servicehistorique.sga.defense.gouv, on nom n’apparaît pas dans les dossiers individuels de personnel, mais dans les dossiers individuels des agents des réseaux de renseignement, Gallia sud-ouest (Yseult Saulnier, n° 28 P 4 469/165, dossier conservé à Vincennes).

[8] Voir Christophe Pécout, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérience de service civil obligatoire, Agora débats/jeunesses, 2008/1, (N° 47), pages 24 à 33 (www.cairn.info).

[9] Voir notre précédente livraison, Résistants en Forez 1 (lien à mettre) /Ré-sis-tan-ces-1/

[10] Édition Loire-Nord du 19 octobre 2014, « La création et l’action des maquis roannais ».

Paroles de lecteurs

Bravo ! Beau travail. A re-relire ++.
M.Thé

Je voudrais signaler que mon père, André Reymond, docteur et naturaliste, était aussi un résistant dans le village de Sauvain dans le forez. Sa demeure connue sous le nom de château Lépine ( nom du préfet qui était son grand père), servit d'hôpital pour les blessés du maquis. Souvent lors d'alertes , les blessés étaient transportes sur des brancards dans les bois vers le Lignon en contrebas du parc.
Dire aussi que détaché du muséum d'histoire naturelle de paris, au Maroc, a Rabat, André Reymond partait dans le désert avec des petits gars attraper des tonneaux de vipères pour en extraire le venin et en faire un contre poison. André Reymond en 1931 a fait la croisière jaune en tant que naturaliste...
Sylvie Reymond-Lépine

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