Né le 1er mai 1944, Henri (ou Henri Antoine) Vial partage son enfance entre Roche-la-Molière, petite ville alors minière de la Loire, et Nervieux, village forézien de ses ancêtres paysans. Il étudie au collège moderne de Saint-Etienne, puis au petit séminaire de Montbrison, dont il claque la porte, en 1960. À qui lui demande ce qu'il y a vu, il répond : « Rien, justement ! » Après avoir préparé seul son baccalauréat, il étudie la philosophie à l'Université de Lyon.
Sa quête autour du monde commence très tôt. Parfois, avec des amis ; le plus souvent, seul, sac au dos. « Je veux à jamais courir les nuages. » « Perdu, je vagabonde pour me trouver. Trouvé, je vagabonde pour me perdre. » Errances d’un idéaliste, jamais satisfait nulle part, mais aussi – mais surtout ? – exils sans rémission d’un homosexuel qui ne s’autorise pas l’ombre d’un coming out chez les siens.
Presque tous ses voyages se font « avec peu de moyens, sans gîte pour la nuit, sans table pour les midis, sans moyens personnels de locomotion sur des routes peu sûres ». Au retour, il écrit et donne des conférences dans la région stéphanoise. « Anar », « communiste libertaire », Henri ne cache guère ses opinions. À Stockholm, où il est lecteur-stagiaire de français à la Folk University, il est étiqueté « communiste anarchisant » et voit son contrat dénoncé. En Bolivie, victime du « complexe Debray » du gouvernement militaire de Barrientos, il est dénoncé à tort comme guérillero et arrêté. Sa famille, ses professeurs, ses amis se démènent pour le sortir de cette galère, avec l'aide de l'avocat Jean-Jacques de Felice et de la Ligue des droits de l'homme. L'intervention du ministère des Affaires étrangères, de l'ambassade et du consulat français à La Paz, mais aussi une grève de la faim dans sa prison de Riberalta, le font enfin libérer, après près d’un mois d’incarcération.
Appelé sous les drapeaux le 2 juillet 1968, il attend le 18 juillet pour se présenter à la caserne du Mans, où il refuse de revêtir l'uniforme. Dans une Lettre ouverte au ministre des Armées, Pierre Messmer, il dénonce l'utilisation de l'armée pendant les événements de mai, la discipline militaire abêtissante et la guerre. « II est des jours où les compromis sont des trahisons […] Je refuse à quiconque le droit de disposer de ma vie, de disposer de ma liberté pour m'imposer seize mois de caserne. » Le 25 octobre, son « crime contre l'esprit », selon l’expression de Maître de Felice qui se mobilise à nouveau pour lui, le fait condamner à quatorze mois de prison ferme, pour « refus d'obéissance ».
Emprisonné à Rennes, il est soutenu par ses amis et ses professeurs (notamment, Gilles Deleuze et François Dagognet), par les mouvements anarchistes et libertaires, par le Comité d'objection à l'ordre militaire, le Mouvement pour le désarmement, la paix et la liberté, la Ligue des droits de l'homme, etc. Avec deux autres insoumis enfermés avec lui, il fait une grève de la faim, pour protester contre leur détention et le « sceau d'infamie du casier judiciaire qui [les] suivra toute [leur] vie », ainsi que contre les conditions « avilissantes » de leur incarcération : cellules surchargées, « ignominie » de la censure, climat d'inculture intellectuelle, vexations, sévices, « surveillance perpétuelle » qui vise à transformer l'homme « en une bête traquée et apeurée ».
Malgré un contrat d'édition signé avec l’éditeur Oswald (« spécialisé dans la tonte du poète débutant »[1] et une souscription couverte, ses poèmes de prison (Rennaises) ne seront pas publiés. Il est libéré sous condition le 18 avril 1969, puis gracié par l'amnistie présidentielle du 30 juin. Son errance aussitôt reprise, il nous écrit de « quelque part sur la mer arabe » et ses courriers portent pour expéditeur : « Henri Vial, Sans domicile fixe ». Barbu et chevelu, « gauné miséreux » (disait sa mère), il se lance dans un tour du monde qu’il ne réalisera qu’en partie.
À son grand plaisir, la Thaïlande le refoule pour sa tenue qui attente à la dignité du pays ; à sa grande honte, le Cambodge l’exfiltre par avion d’une zone de guerre... En 1973, il s'installe à New York, avec un visa de tourisme. Tous les trois mois, il passe une frontière pour éviter l'expulsion. En 1974, il obtient le statut de résident privilégié. Il fait la plonge dans des restaurants, travaille comme peintre en bâtiment ou laveur de vitres, donne des leçons de français, fait des traductions, vend son sang, puis devient manutentionnaire-étalagiste chez un marchand d'appareils photo. Il vit dans le Lower East Side, l'un des quartiers alors les plus durs de la ville ; les logements n’y sont pas chers mais où il s’y fait régulièrement agresser.
Fin juin 1989, il se fixe à Charleston, avec son ami, originaire de cette ville. Il apprend le Sud puritain, le clivage blancs/noirs encore plus tenace que dans les états du nord, mais aussi la chaleur des habitants de Caroline du Sud. En septembre, dans sa maison de bois où il a choisi de rester seul, alors que la ville entière était évacuée, il subit le cyclone Hugo, référence de l’horreur (« Quand on a connu Hugo, on ne peut connaître pire ») dont il ressort indemne mais durablement marqué. Au cours de ces années américaines, il suit des cours de dessin et peint, « pour pallier l'obstacle d'un bilinguisme incomplet ».
D'abord de mémoire, la vie de son enfance, puis l’Amérique de son quotidien new-yorkais : celle des Portoricains, des noirs, des clochardes fouillant dans les poubelles, des drogués à la dérive, des homos dans leur ghetto. « L'Amérique n'existe pas et n'a jamais existé », écrit-il.
Fumeur invétéré, le cancer attaque ses poumons sans qu’il s’en préoccupe, trompé par sa bronchite chronique, et se transforme vite en cancer généralisé, avec métastases au cerveau, à la colonne vertébrale et à la moelle épinière.
Pendant les derniers mois de sa vie, il crée dans une sorte de fièvre : « Je ne peux plus peindre, je ne peux plus dessiner, je peux gribouiller. » Il faut « apprendre à gribouiller. » Il faut « que je redécouvre une nouvelle technique - la technique de Gribouille. » Il peint ses dernières aquarelles en juin 1996, quelques jours avant sa mort, début juillet. On y retrouve la violence de ses souffrances, à peine atténuées par la morphine.
Henri a exposé à New-York, Charleston, Paris et Saint-Étienne. Les revues Les Amis de Thalie, Passage d’Encres, Réforme ont publié ses articles, récits et poèmes, dans leurs numéros ou en recueils (une bibliographie est en préparation). Les grands journaux régionaux de la région Rhône-Alpes se sont faits l’écho de ses pérégrinations et de ses conférences, notamment après son aventure bolivienne. En 1996, Passage d’Encres lui a consacré un numéro spécial.
Pour notre part, nous avons publié deux de ses ouvrages (voir ci-dessous) et notre page "À lire, à voir" offre à l'internaute Vietnam d'hier, Vietnam d'aujourd'hui : texte d'Henri accompagné d'aquarelles de Denis Maindive.
Deux sites pour découvrir le peintre :
- https://henriantoinevial.neocities.org
- http://henriantoinevial.com
[1] Le mauvais Compte d’Éditeur va-t-il tuer le Compte d’Auteur ? www.loieplate.com, septembre 2008.