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l’Atelier d’Édition Bordematin

Du MEXIQUE au BRÉSIL au temps des dictateurs et du dollar

Du MEXIQUE au BRÉSIL au temps des dictateurs et du dollar
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Juillet 2020

Amérique latine
Un routard
en pays de policiers
et de guérillas
Chroniques de voyage, 1968

Le 1er juillet 1967 – en pleine guerre froide opposant les États-Unis à Cuba et à l’URSS – Henri Vial, étudiant en philosophie de 23 ans à l’Université de Lyon, « désireux de confronter la culture universitaire à la réalité vivante », effectue un périple de 9 mois qui le conduit, sac au dos, des USA au Brésil, à travers une Amérique latine où dollar et CIA gouvernent, et où sévissent régimes autoritaires et dictatures militaires, auxquels résistent des guérillas sévèrement réprimées mais bien vivaces, dans un contexte de profonde misère, notamment des peuples indiens dépossédés. En contact avec le quotidien des rues et des campagnes, le globe-trotter raconte la vie de tous les jours et les tribulations d’un solitaire confronté à ses propres angoisses, dans un monde de policiers omniprésents, mais aussi de religiosité exacerbée et de plantes psychédéliques, autant que de rencontres colorées et de petits bonheurs.

Auteur

Henri Vial

Né le 1er mai 1944, à Roche la Molière, dans la Loire, et décédé le 8 juillet 1996, à Charleston, aux USA, Henri Vial nous a laissé de nombreux écrits et peintures exprimant un monde riche en couleurs, parfois tendre, parfois désespéré et le plus souvent révolté d’une révolte, hélas ! aujourd’hui toujours fondée.

L'Amérique latine de la guerre froide... Les missionnaires qui prient pour les miséreux tout en roulant en cadillac
Le Monde diplomatique

Échos

Le Monde diplomatique juillet 2021 p.24 (Les blogs du Diplo, Les livres du mois, août 2021, p. 24)

Nathalie Lescop-Boesswillwald - Les Amis de Thalie - Septembre 2020 p. 65-66

Béatrice Gaudy - Une invitation au voyage - Décembre 2020

 

Extraits

Panama : indolence et dollars

Cordon ombilical entre les deux Amériques, l’état de Panama n’existait pas il y a seulement soixante-dix ans. Mais la Colombie n’était pas prête à accepter les conditions que voulaient lui imposer les États-Unis pour la construction du canal, alors Théodore Roosevelt agita le gros bâton, fomenta un petit coup d’État et l’isthme s’affirmait indépendant.

Indépendant à tel point que les États-Unis s’allouaient de suite une bande de territoire : la zone du canal. Ce canal que Lesseps n’avait pas mené à bien, les Américains le terminaient. La raison d’être et la richesse du nouvel état ne lui appartinrent jamais. Certes, les royalties qu’il touche lui fournissent une apparence de richesse, mais limitée à une minorité.

« Canal zone » : les « cops » (policiers, en argot américain) roulent des épaules et manient la matraque avec désinvolture, les Chevrolet de la police U.S. sillonnent les rues au milieu des espaces verts. Les familles américaines ont leurs bungalows à air conditionné. Nés en Floride, en Californie ou ailleurs, on continue de vivre ici comme à San Francisco ou Miami. Papa passe la pelouse à la tondeuse, maman fait ses achats au supermarket où elle trouve ses « Kellog’s », son « pop-corn », et son « nugget », tandis que les enfants blondinets et roses jouent au base-ball ou font du patin à roulette comme à Central Park. Pour eux, Panama est un village de vacances où ils peuvent se baigner le matin dans le Pacifique, l’après-midi dans l’Atlantique.

Sortis de la zone du canal, les gringos (qualificatif injurieux désignant les nord-américains) sont toujours présents, à tel point que la monnaie utilisée n’est pas la monnaie officielle, le balboa, mais sa majesté le dollar. Les distributeurs automatiques ne fonctionnent pas avec des centavos [centimes], mais avec les « quarters » [1/4 de dollar], « nickels » [5 cents : 5/100èmes de dollar] et « dîmes » [10 cents : 10/100èmes de dollar] de la grande nation amie ! Les panneaux routiers sont généralement bilingues : it’s forbidden... prohibido… [il est interdit] Parfois même, seul l’américain est utilisé. La limitation de vitesse est indiquée « speed limit 40 miles », et non « velocidad 60 kil ». Les routes sont entretenues par l’armée américaine et non par les ponts et chaussées panaméens. Cela permet d’occuper quelques-uns des cinquante mille soldats qu’entretient ici le gouvernement américain, alors que la « guardia national » panaméenne compte à peine quatre mille hommes !

La majorité panaméenne n’a droit qu’aux miettes. Certes, il faut pour les yankees des femmes de ménage et des cireurs de chaussures, mais le petit cireur déguenillé et pieds nus est noir ; l’enfant gringo en bermuda et tee-shirt n’a pas besoin de gagner sa vie. Monnaie noire et monnaie blanche ne sont pas les mêmes. Le salaire d’un policier panaméen serait une aumône pour son confrère yankee de la zone.

En pays de guérilla : 52 jours en Bolivie

Il était près de quatre heures de l’après-midi, lorsque nous arrivions à la Paz, tout juste comme le président Barrientos qui, lui, revenait de Suisse. Sur la route qui descendait du haut plateau au centre de la ville, les murs portaient quelques graffitis déjà vieux : Debray à mort, Bolivia si, Cuba no et le vice consul renchérissait sur l’impopularité de Debray et sur les manifestations des veuves de Camiri qui avaient réclamé sa mort. Il me conseillait de me procurer un sauf-conduit auprès de mon ambassade, si je ne voulais pas avoir d’ennuis : ce n’était pas l’époque pour un Français de voyager en Bolivie ! J’étais dans un pays où, pour se déplacer sans éveiller les soupçons de la police, il fallait présenter patte blanche. Un pays de guérilla.

Lorsque le vice-consul me laissa devant l’Ambassade des États-Unis, je fus surtout frappé par le parking réservé aux voitures officielles. Elles étaient peut-être une cinquantaine, jeeps et voitures luxueuses, alors que l’Ambassade de France ne possédait qu’un petit emplacement réservé dans la rue même pour trois ou quatre voitures. Avoir en son sein un foyer de guérilla devait être un riche filon pour le gouvernement bolivien qui pouvait se permettre d’offrir 50000 pesos [plus de 25500 €] de récompense pour le Che « mort ou vif » !... Mais hélas, le Che est mort, les guérilléros ont fui et le Département d’État risque de se faire moins généreux.

Mal à l’aise, je partais à la découverte de La Paz, sac tyrolien à l’épaule. Je sentais les regards qui s’accrochaient à mon bagage et à mon visage, déplaisante impression d’être la bête curieuse de toute une ville. Je correspondais tout à fait à l’idée que se faisait le peuple du guérillero retour d’expédition ! Sac à dos, barbe négligée, vêtement fripé… Mais lorsque j’arrivais sur la grand’place, ce n’était plus le peuple qui me scrutait, c’était l’armée. Car cette grand’place formait le centre d’un meeting d’accueil à Barrientos. Du haut du balcon présidentiel, le général-président haranguait la foule, il annonçait une ère d’austérité. Il est facile en temps de guerre de dire : « Vous n’avez pas de pain, car il nous faut des canons. » Mais la guerre est finie, et les mineurs réclament des améliorations de « leur salaire infra-humain » selon les termes de l’archevêque de La Paz. Dans un grand élan de générosité, Barrientos annonce qu’il va donner pour eux un quart de son salaire : ils demandent la justice, le général-président leur offre la charité. Il veut faire la révolution, oui, mais une révolution patriotique, une révolution dans l’ordre, une révolution sans grève, en un mot une contre-révolution : travail, famille, patrie !

Notre-Dame de Guadalupe

Mexico ! René venait d’arriver à Mexico. Il avait rêvé des tropiques, des mots sonores s’étaient accrochés à son esprit, des mots qui parlaient d’un passé glorieux, Moctezuma et Cuantchémoss, Cortez et les conquistadores, Emilio Zapata et Porfirio Diaz, des mots qui portaient une saveur étrange : peyotl et marihuana, navajos et mayas, tarasques et voladores. Une sarabande de villes avait dansé dans ses désirs de dépaysement. Acapulco, Teotihuacan, San Luis de Poto, Uxma, Vera Cruz et... Mexico. Mexico avec son zócalo et son Mont de Piété, son marché aux puces et ses jardins flottants, son université et sa place des Trois cultures. Avec sa foule indienne, ses odeurs de piments et de tortillas. Sa misère, ses voleurs, ses mendiants...

Il s’était laissé emporter par la richesse d’une imagination qui contemple une carte, lit des reportages, déplie des prospectus, dans l’ennui d’une chambre d’étudiant. Fils d’une culture usée, il haïssait les gens de son pays, il les trouvait mesquins, étroits, sans intérêt. Tout lui semblait bête dans leur petite vie et il préférait les rites anthropophages, les cultes tantriques ou les macumbas à leur sagesse d’hommes « civilisés ». Il avait désiré des bains d’exotisme dans des foules criardes ; il avait voulu voir autre chose que les ouvriers grognons des « cafés du coin », les adolescents bêtes des « bus palladium », les ménagères bavasses des immeubles de rapport ou les cocottes bécasses des surprises-parties.

Maintenant cette Mexico tant attendue était là, bête comme une autre ville, fade et décevante comme la réalité. Triste et sans caractère sous la pluie mortuaire du crépuscule, petite pluie qui noyait son cœur de voyageur, traversait ses vêtements élimés et glaçait son courage d’aventurier. Une voiture l’avait transporté de Moralès jusqu’à la capitale, une voiture après tant d’autres depuis ce jour où il avait débarqué à New-York, il y a quatre mois, quatre mois et des nuits sans sommeil, des jours sans manger, des marches harassantes, des travaux misérables. Au fil des fatigues, l’enthousiasme avait fui et maintenant il ne savait plus pourquoi il était venu ici. Il avait rêvé d’exotisme, face à l’exotisme il rêvait du familier nostalgique.