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l’Atelier d’Édition Bordematin

Ainsi vivent les femmes ?

Ainsi vivent les femmes ?
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Mai 2022

Les galères, les délires, la solitude d’une enfant de la guerre, physiquement handicapée, chômeuse chronique en les années dites des trente glorieuses où, peu répandu, le chômage est opprobre.
Une vie, de souffrance et de colère, ordinaire et pourtant singulière – et pour la raconter, en son humble vérité comme en ses déconcertantes facettes, une aînée qui n’a pas su être le gardien de sa sœur.
Écrit avant le premier*, ce deuxième « Deuil » (en moins de deux ans, une sœur et deux frères décédés, dans une fratrie de six) s’apparente à ce que les Américains appellent family memoirs, récits qui mêlent biographie de proches et autobiographie. Il s’agit de « dire » (selon l’usage barthien de ce terme) ceux que l’on aime et, en les contant, d’attester qu’ils n’ont pas vécu, et bien souvent souffert, « pour rien ». Déroulant pour l’auteur comme pour le lecteur une destinée dans laquelle – au-delà de la péripétie individuelle et de son unicité – chacun peut se retrouver, le texte ne saurait prétendre en réparer les désastres, il peut seulement – se mettant en quelque sorte à son service – lui conférer une sorte de provisoire pérennité.
Celle qui l’a écrit l’a ressenti comme une obligation à laquelle elle ne pouvait déroger. Elle a changé cette fois jusqu’au nom de sa sœur : trop de protagonistes et d’institutions, dont elle ne s’est pas autorisée à ce qu’ils soient publiquement reconnaissables, sont mêlés aux évènements racontés.

* Monique Romagny-Vial, Le reniement, Villefontaine, Atelier d‘Édition Bordematin, 2021.

Auteur

Monique Romagny-Vial

Monique Romagny-Vial a publié quatre romans ainsi que deux récits autobiographiques. Lauréate de plusieurs concours littéraires, elle a fait paraître de nombreuses nouvelles en recueils collectifs et en revues. Elle est également l’auteur, seule ou en collaboration, d’ouvrages universitaires, signés Monique Vial, sur les enfants handicapés et les échecs scolaires.

. Un récit bouleversant
. d'abord marqué par la tendresse

Paroles de lecteurs

Échos

Les Amis de Thlie, 2024, n° 121, septembre, p. 50-51

Les Amis de Thalie, 2022, n° 113, septembre, p. 67

La Tribune des travailleurs, 2022, n° 355, 7 septembre, p. 15

Echanges autour du livre

Paroles de lecteurs

"Dès que j'ai reçu ton livre, je l'ai lu. Et là, submergée par tant de souffrances... j'étais incapable de m'exprimer. Je viens de le relire et j'ai bien fait. Il y a tellement de réflexions sur lesquelles je ne m'étais pas arrêtée, lors de la première lecture. Des critiques amères et tristes sur les relations au travail, dans la vie de tous les jours, tant d'affection au sein d'une famille que l'on ne sait pas toujours dire, tant d'injustices sociales, tant de repli sur soi. Merci, mille fois merci pour ce récit, émouvant, bouleversant au style percutant."
(Brigitte Serant,7 août 2022)

« J'ai relu ton actuel dernier maillon généalogique à tissage existentiel et textuel croisé, exemple édité de ton art du patient puzzle... C'est encore de la belle ouvrage de ton cru tout vif, rebelle jusque dans tes remords. Ainsi as-tu narré au plus près des faits comme des oublis plusieurs décennies rien moins que sereines. Mais pour qui aurait lu ta Chronique d'une parvenue (1986, puis 2006), il saluerait sans snobisme ta persévérante restitution de l'ordinaire extravagance (familiale) des hasards pas toujours nécessaires. Si les lecteurs préfèrent ce récit ce n'est peut-être pas parce que son écriture leur convient mieux, mais cela tient je crois au "contenu"... Car tu as gardé ton abrupt, ton rythme, tes décrochements syntaxiques..., ce qui fait depuis longtemps ta manière de ne pas ronronner dans le prêt à littérairement digérer. »
(Ghislain Ripault, 3 août 2022)

« Je viens de terminer ton dernier ouvrage : "Ainsi vivent les femmes ?" et j'ai trouvé que c'était ton livre le plus abouti de tous ceux que j'ai lu. Humainement il est très beau et stylistiquement très réussi. Je reconnais ton écriture à présent et dans d'autres ouvrages elle m'a déstabilisé. Pas là. Au contraire... Je me sens en communauté avec ton travail et ce que je décèle comme tes motivations... Je te le redis : tu as fait un très beau travail ! »
(Michel Chaigneau, 18 juillet 2022)

« J'ai lu ton nouveau livre... Et j'ai aimé beaucoup. Tu me l'avais présenté comme une tragédie et bien sûr, il n'est pas dans le registre comique... mais je le trouve malgré sa rudesse d'abord marqué par la tendresse. Pour moi c'est cela qui domine : la tendresse plus forte que tous les autres sentiments, de révolte, d'incompréhension, de tristesse, de sottise, d'injustice pourtant bien présents.
Dans la famille fracassée, dans la relation avec Sylvaine, tout est souffrance, incompréhension remords mauvaise conscience mais tout est d'abord tendresse...Comme si tu ne parvenais pas, dans ce livre de colère comme tous tes autres livres à ne pas te laisser submerger par cette dimension de tendresse. Tendresse et non amour.
J'aime ton écriture, tu le sais. Je la trouve dans ce livre aussi moins violente, moins en rupture, plus accessible dans le bon sens du terme.
Détails. Je me suis interrogée sur le titre. Le quotidien, souvent plus difficile parce que femmes ? Les femmes, toujours coupables ? Je me demande si tu n’as pas eu tort de citer Balasko dans le film Trop belle pour toi : dans quelques années, personne ne se rappellera plus de ce film ! »
(Francine Vaniscotte, 29 juin 2022)

« Un récit de sœur dévastée, à la première personne, presque sans filtre. »
(Régine Boyer, 24 juin 2022)

« Comme tu le dis, la photo du tableau d'Henri est une bonne introduction pour cette sorte de mémorial à ta sœur. Les critiques sont rudes. Les personnages semblent ployer sous le poids d'un destin implacable. Les issues paraissent inexistantes. »
(Guy Champagne, 23 juin 2022)

« Un livre qui m’a donné un sacré coup... Un livre très fort. »
(Raphaëlle Pia, 21 juin 2022).

Extraits

Page 16 et page 31

Où qu’elle soit, quoi qu’elle fasse, le ils persécuteur de la paranoïa la pourchasse sans relâche. Tout advient à son intention, tout se ligue contre elle… Je l’imagine dans l’aube terrifiante de son appartement à l’air inchangé depuis des lunes. Ses mains se crispent sur son vieux châle. Ses lèvres se tordent de ce rictus qui la prenait sans crier gare au détour d’une conversation insignifiante ou d’une tâche triviale, témoin incontrôlé des méchants soucis, pensées inavouables, imprescriptibles fureurs qui la minaient dans tout son être. De sa cuisine à sa chambre, de sa chambre à sa cuisine, elle meurt de peur, d’innombrables bourreaux prêts à se jeter sur elle à travers ses murs.

Page 39

Plusieurs échelons gravis, tout de même. WC privatifs, eau chaude et salle de bains. Pour un standing en harmonie, adieu les vieilles fringues et godasses en capilotade. Ses corsages, anglais. Ses chaussures, italiennes. Son manteau, fin drap de laine et réversible ; gris souris d’un côté, vert olive de l’autre. Raffiné, élégant : des semaines et des semaines à écumer les boutiques de luxe, pour arrêter son choix… Côté nourriture, même philosophie. Extra-fins de chez extra-fin, ses haricots et petits pois. Son riz, importé d’un glorieux pays qui le reçut, parfumé, de glorieuses divinités. Son café, le meilleur des arabicas, torréfié devant elle. Ses pâtes, véritables napolitaines, introuvables sauf épicerie spécialisée. Si elle habitait Paris, elle se servirait chez Fauchon. Petit commis d’administration ou pas, ils vont pas l’obliger à consommer leurs cochonneries pas chères, juste bonnes pour les imbéciles accrochés à leurs pubs.

Page 180

N’ai-je pas voulu me blanchir en la racontant ? Dirait-elle que je lui rends justice ou que je la vole ? Chaque fois que je lève le nez, ses cahiers, calepins, blocs-notes continuent à m’interpeller, à la fois accusation et prière, remords et irritation. Il faudra que je les détruise. Je ne les détruis pas. Cloîtrée pendant des heures, je me consacre à lui redonner chair. Pour me libérer, tenter de recouvrer d’elle une présence amie, enfin pacifiée. Mais aussi pour qu’elle vive au-delà de nous. Pour que d’autres se retrouvent dans mon récit, témoin de l’humaine misère.